24 novembre 2025—PRESS AFRICA—Héritage sociopolitique revendiqué par certains et honni par d’autres, il structure encore les alliances, alimente les fractures et façonne les ambitions. 13 ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye continue de vivre sous l’ombre pesante de son ancien dirigeant dans un contexte où le pays tente encore de se doter d’institutions unifiées et stables.

Durant plus de quatre décennies, Mouammar Kadhafi avait construit un régime ultra-centralisé, fondé sur son « Livre vert » et une architecture de pouvoir mélangeant comités révolutionnaires, réseaux tribaux et contrôle de la rente pétrolière.
La chute du régime n’a pas suffi à effacer ces structures. Au contraire, de nombreux responsables locaux issus des comités révolutionnaires ont conservé un ancrage communautaire fort. Certaines tribus historiquement alliées au régime continuent de porter un discours favorable à un retour de l’ordre « d’avant 2011 ». L’appareil sécuritaire fragmenté a laissé place à des milices reprenant parfois des pratiques héritées de l’époque kadhafiste : centralisation de la force, personnalisation des chefs locaux, économie de guerre.
Saïf al-Islam : le symbole d’une continuité escomptée
Si l’héritage Kadhafi restait longtemps diffus, il s’est incarné à nouveau en 2021 avec la réapparition de Saïf al-Islam Kadhafi, héritier présumé de l’ancien dirigeant. Bien que recherché par la Cour pénale internationale et encore entouré de mystère, Saïf al-Islam a réussi à mobiliser certaines tribus du sud et de l’ouest libyen, cristalliser un discours nostalgique autour d’une Libye « stable et unifiée » d’avant la révolution, et à se réinsérer dans le débat politique national comme une alternative aux élites actuelles jugées inefficaces.
Pour une partie de la population, Saïf al-Islam représente un retour potentiel à un État fort, capable de sécuriser les frontières et de relancer la production pétrolière. Pour d’autres, il incarne le danger d’un retour à l’autoritarisme et à l’impunité.
Un héritage tribalo-politique toujours actif
La société libyenne reste fortement structurée par les tribus. Le régime de Kadhafi avait non seulement instrumentalisé ces structures, mais aussi organisé un équilibre subtil entre elles. Depuis la chute du régime, les anciennes tribus alliées au pouvoir — comme les Kadhadfa ou les Warfalla — tentent de retrouver leur influence. Les tribus marginalisées sous Kadhafi revendiquent au contraire une revanche politique.
Cette compétition entre blocs tribaux contribue toujours à ralentir la construction d’institutions unifiées, à alimenter les rivalités régionales entre Tripoli, Benghazi et Sebha et à renforcer la dépendance vis-à-vis des milices locales.
Un imaginaire politique encore présent
Plus qu’un nom, la lignée Kadhafi a laissé un imaginaire. Celui d’un État souverain contrôlant fermement la rente pétrolière, d’une unité territoriale imposée par la force et d’un nationalisme panafricaniste parfois teinté d’anti-occidentalisme.
Cet imaginaire sert aujourd’hui de référence à diverses mouvances politiques, y compris certaines factions militaires aspirant à un retour à un pouvoir centralisé.
Une jeunesse divisée
Les jeunes Libyens, qui n’ont connu le “Guide Libyens“ que durant leur enfance ou pas du tout, se trouvent aujourd’hui face à deux récits contradictoires ; celui d’un passé stable mais répressif et celui d’un présent libre mais chaotique.
Cette ambivalence se traduit par une montée du discours nostalgique dans les zones les plus marginalisées et une résistance catégorique dans les régions qui ont payé le plus lourd tribut lors de la répression de 2011.
Une influence régionale encore perceptible
L’héritage Kadhafi dépasse les frontières libyennes. Plusieurs États africains, qui avaient bénéficié du soutien financier du régime, observent encore avec intérêt l’évolution des forces kadhafistes sur la scène politique. Cet héritage se manifeste dans les réseaux panafricanistes encore actifs, dans l’économie informelle transsaharienne et dans l’influence résiduelle de certains anciens cadres du régime dans les pays voisins.
Un héritage impossible à contourner
La Libye de l’après-2011 n’a jamais véritablement réussi à se défaire de son passé. Que l’on soit partisan ou opposant à la lignée Kadhafi, son influence demeure un élément structurant du paysage sociopolitique. Les tentatives de transition démocratique, régulièrement entravées par les luttes de pouvoir, montrent que la Libye ne pourra avancer pleinement qu’en entamant un travail de mémoire et de refondation institutionnelle réel.
Rédacteur: Saïd TESSILIMI

